De la nécessité des bulles

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PRÉNOSTALGIE. [pʁenɔstalʒi] n.f. (2017 ; de pré-, avant, et nostalgie). Sentiment de regret de lieux, de temps ou de gens dont on sait qu’ils vont bientôt disparaître, s’éloigner de nous ou se terminer, et auxquels on associe des sensations agréables. Assis devant son écran d’ordinateur, François était prénostalgique du FIL, qui se termine ce soir.

Peut-on être nostalgique d’une chose que l’on n’a pas encore perdue ? Il faudrait demander à des linguistes, des psychologues et des philosophes, mais c’est exactement ce qui m’habite, à quelques heures de la fin de cette 23e édition du Festival international de la littérature. J’ai ce boswell de billet bilan à écrire et de coucher sur pixels ces mots me rapproche davantage de l’inéluctable : mamaaaan, c’est (presque) finiiiiiiiiii !

Jean-Sébastien Larouche de l’Écrou l’a bien dit : « Plus le monde va mal, plus il a besoin de poésie ». J’ajouterai : « Et de littérature. Et d’art. Et de beauté. »

Depuis une dizaine, j’étais dans une espèce de bulle, plongé dans la rédaction de mes billets et la retouche de mes photos le jour, immergé dans des spectacles et des événements en compagnie d’artistes et d’amis formidables le soir. J’avais donc beaucoup moins de temps pour lire les journaux et zieuter mon fil d’actualité Facebook. Dans ma vie normale, j’aurais eu le temps de lire cet article sur le couple russe qui aurait dévoré une trentaine de personnes; j’aurais pu connaître, grâce au récit détaillé de la journaliste judiciaire à l’émission de Paul Arcand, le nombre de coups de couteau donnés par le meurtrier du Maxi dans la poitrine de sa victime; j’aurais été dérouté par les toutes récentes tornades de tweets twits de Donald Trump; j’aurais pesté contre les six défaites de suite du Canadien et la saison bousillée de l’Impact; j’aurais eu un peu peur de Kim Jong-un, j’aurais pleuré sur les Rohingya de Birmanie et j’aurais probablement été découragé par l’inertie de Mélanie Joly — mais arrêtons donc de gueuler contre elle et désabonnons-nous de Netflix en masse, vous allez voir qu’ils vont finir par les payer, les fucking taxes !

Un cocon de FIL invisible me protégeait de ces agressions du monde extérieur. Mon corps a été transpercé par des dizaines de milliers de mots et ce fut une expérience hautement thérapeutique. Je dormais max six heures par nuit mais j’avais une pêche d’enfer. Après avoir vécu un FIL du début à la fin, tu sais et sens que le psychanalyse a raison de prétendre que les mots ont un effet sur notre psyché.

J’ai ri, j’ai été ému, j’ai été soufflé, j’ai été surpris, j’ai été propulsé en dehors du temps et de l’espace, j’ai eu la certitude de faire partie d’un Grand Tout et j’ai cessé d’être pessimiste par rapport à notre avenir comme espèce. S’il y a sur cette terre des Dany Boudreault, des Baron Marc-André Lévesque, des Carl Bessette, des Dany Laferrière, des Salomé Leclerc, des Queen Ka et autres quidams morts de trouille mais néanmoins games d’aller faire leur show devant de purs inconnus, on n’est pas si mal barrés. Je fais preuve de naïveté volontaire, mais tant pis : je débuzzerai demain.

J’ai coiffé ce billet d’une photo de la grande manitoue du FIL, Michelle Corbeil. C’est elle qui mène la barque du festival depuis sa fondation, il y a vingt-trois ans. Je voudrais que vous preniez quelques secondes pour imaginer le nombre d’actes que Michelle a posés depuis un an pour l’organisation de cet événement. Combien de courriels, combien de téléphones, combien de décisions, combien de pas, combien d’insomnies, combien de moments de découragement, combien de sourires… Imaginez le nombre de problèmes de logistique et de gestion de sensibilités qui peuvent surgir pendant dix jours, multipliez par dix et vous n’en serez encore qu’à la moitié du chiffre réel. Enfin, multipliez tout ça par vingt-trois ans. C’est une œuvre en soi ! Admirable.

Et malgré qu’elle passait ses journées à éteindre des feux, chaque matin Michelle nous écrivait un message, dans le groupe Facebook de l’équipe, y allant de ses mots d’encouragement pour la journée qui s’en venait.

Ne reste plus qu’à dire merci. Aux artistes. À l’équipe de feu du FIL. À ma blonde pour avoir géré la marmaille ces derniers jours. À Michelle pour m’avoir donné cette chance.

Et, évidemment, à vous qui m’avez lu.

À bientôt.

 

 

 

 

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