Là d’où je viens, Darling !

Bien des fois, j’ai été choquée et horrifiée par l’être humain, j’ai éprouvé de l’admiration et de la répulsion, j’avais envie d’oublier ce que j’avais entendu, de revenir au temps où j’étais encore dans l’ignorance. Et plus d’une fois aussi, j’ai eu envie de pleurer de joie en voyant la beauté de l’être humain…

Svetlana Alexievitch

C’est à la poète et directrice artistique Violaine Forest que l’on doit l’idée du spectacle Là d’où je viens, Darling !, qu’elle a créé en 2015 à la Fonderie Darling (ceci expliquant cela). Depuis, elle orchestre, au gré des auteurs qui font partie de la distribution, une proposition littéraire et scénique qui se renouvelle chaque année, touchant les spectateurs chaque fois différemment.

Au cœur de cette mouture 2017 de Là d’où je viens, Darling !, qui a lieu tout à l’heure, à 20 h, à la Cinquième Salle de la Place des Arts, il y a une rencontre entre les mots de l’écrivaine biélorusse Svetlana Aleixievitch, prix Nobel de Littérature 2015, portés par la comédienne Sophie Desmarais, et ceux de la Québécoise Madeleine Gagnon. Aussi sur scène pour l’occasion, le poète italien Claudio Pozzani, la poétesse québécoise Tania Langlais, Violaine Forest et le danseur Jean-François Duke.

Lors de notre entretien/séance photo, qui a eu lieu lundi dernier, Violaine me confiait avoir une affection particulière pour les poètes qui s’adressent directement au lecteur, souvent en les tutoyant; dans cet esprit, je la laisse s’adresser à vous.

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Ce spectacle annuel, c’est comme un repas : même si on dresse une table avec les mêmes couverts, les mêmes chaises et les mêmes plats, si ce ne sont pas les mêmes invités qui sont avec nous, le repas sera complètement différent. Là d’où je viens, Darling !, c’est une structure, une construction fixes, mais qui est chaque fois différente parce que les gens que j’y invite apportent quelque chose d’eux de tout à fait singulier. Ils s’insèrent dans une machine déjà bien huilée et c’est magique, la mayonnaise prend.

Dans ce spectacle, on parle d’enfance, de guerre, de paysages éventrés. Et j’invite pour l’occasion des auteurs qui te parlent directement, qui te racontent quelque chose. Ce qu’ils disent, ça part des tripes. Là d’où je viens, Darling ! devient donc une suite de moments intimes que les spectateurs vivent avec ces auteurs-là.  

Or, cette fois-ci, c’est la première fois que je mets l’emphase sur deux auteures. Une rencontre qui est le fruit d’un beau hasard. Laisse-moi te raconter.

Je suis une passionnée d’histoire, je lis tout ce qui s’écrit sur la guerre, il ne faut pas me demander pourquoi. À la bibliothèque, je tombe un jour sur le livre La guerre n’a pas un visage de femme de Svetlana Aleixievitch. Je l’emprunte six fois de suite : je suis bouleversée, ce livre ne me quitte plus. Aleixievitch écrit des choses horribles, mais de la façon la plus normale qui soit. Comme si, pendant que tu faisais la vaisselle avec une amie, elle te disait : « Mon mari me bat ». Sans crier, sans hurler, sans mélodrame, comme si elle venait de te donner l’heure. Son livre, c’est ça. Aleixievitch te présente, dans une langue magnifique, des témoignages de gens qui se sont tus toute leur vie. Je pense par exemple à l’histoire de cette jeune infirmière de 16 ou 17 ans qui a porté 300 hommes sur ses épaules en une nuit; ou à ce récit d’une femme de 95 ans qui se remémore le moment où, à quatre ans, sa mère a été assassinée sous ses yeux…

Pendant que je suis habitée, hantée par cette lecture, je me rends au lancement de l’autobiographie de Madeleine Gagnon, Depuis toujours, un livre magnifique, soit dit en passant. Et sur une table où on a disposé des exemplaires de ses œuvres, je vois son livre La guerre et les femmes. Je le prends dans mes mains, le feuillette, et n’en crois pas mes yeux : j’y retrouve le même tutoiement, la même langue, la même parole vraie que je lisais depuis des semaines dans l’œuvre d’Aleixievitch ! C’est là où j’ai compris et su que je devais provoquer une rencontre entre ces deux femmes…

Dans la préparation de ce spectacle, j’ai revisité au complet l’œuvre de Madeleine Gagnon pour y piger des extraits; je suis notamment allé fouiller dans ses textes plus poétiques, qui sont très forts, très ancrés dans la matière et dans la chair. J’ai fait la même chose dans les 979 pages écrites par Svetlana Alexievitch.

C’est un travail gigantesque pour un spectacle présenté un seul soir, mais c’est précisément ce que je trouve merveilleux avec cette proposition : c’est un don. Et les artistes qui sont sur scène avec moi sont tous et toutes dans le même état d’esprit que moi : ils ont envie de t’offrir quelque chose d’unique, une décharge émotive forte. Ils viennent te dire : voici ce qui s’est passé, voici ce que ces gens ont ressenti, prends-le — sans trop de heurts, nous espérons.

 

Là d’où je viens, Darling !

Ce soir 20 h à la Cinquième Salle de la Place des Arts

Admission générale 30 $

27$ pour les 65 ans et plus

25 $ pour les 30 ans et moins

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