Suivez le FIL avec moi !

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Dans une vie de travailleur autonome, il y a ce qu’on appelle des contrats « alimentaires », des missions pas nécessairement agréables que l’on accepte parce qu’il faut payer les factures et nourrir la marmaille, et il y a les contrats « bonbon », ces piges passionnantes et ces projets enthousiasmants qui t’amènent à te dépasser et qui te font aimer ton métier encore plus.

Quand la directrice générale et artistique du Festival international de littérature, Michelle Corbeil, m’a offert d’être le blogueur/photoreporter de cette 22e édition du FIL, qui débute aujourd’hui et qui se poursuivra jusqu’au 1er octobre prochain, j’ai tout de suite su que je tenais là un vrai bon bonbon : j’allais pouvoir écrire, réaliser des entrevues, voir des spectacles, même participer à des spectacles (!!!), prendre des photos et être payé pour le faire.

Suis chanceux, hein ?

Au cours des dix prochains jours, j’ai la mission de vous donner envie de venir faire un tour au FIL. Comme tout bon festivalier, je me suis fait un horaire (évidemment trop chargé — désolé chérie, tu ne me verras pas beaucoup dans les prochains jours). Je vais notamment participer à un souper/lecture de textes dans le noir total lundi soir; je vais aller lire un texte lors du grand micro ouvert de Carl Bessette (on va s’en reparler, méchant cinglé, ce type); je vais assister à des hommages, des lectures, des performances, des expositions, des conférences, et je vais vous raconter tout ça ici, chaque jour.

Qui m’aime me suive, comme on dit.

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Premier arrêt : Centre d’art contemporain Le Livart, 3980, rue Saint-Denis, pour l’exposition Pessoa : tout sentir, de toutes les manières.

À Lisbonne, le 30 novembre 1935, quatre des plus grandes figures de la littérature portugaise se sont tues en même temps : Alberto Caiero, Alvaro de Campos, Ricardo Reis et Bernardo Soares. Ces gens se connaissaient, se répondant et parfois se critiquant les uns les autres dans les revues avant-gardistes du temps.

Mais bientôt on découvrit qu’ILS ÉTAIENT TOUS FERNANDO PESSOA.

En effet, on trouva chez Pessoa, à sa mort, une grande malle contenant tous les textes (27 543 documents!) écrits par l’écrivain portugais sous l’égide de l’un de ses 72 hétéronymes (le terme est de lui). « Une malle pleine de gens », selon l’expression de l’écrivain Antonio Tabucchi.

Pessoa enfante ainsi, parmi tant d’autres, Alberto Caiero et l’appelle son maître; Ricardo Reis, le triste épicurien dont il dit qu’il écrit mieux que lui; Alvaro de Campos, le vociférateur homosexuel et opiomane qui s’autorise toutes les audaces que le timide Pessoa oserait à peine rêver; et Bernardo Soares, le semi-hétéronyme qui écrit le somptueux et abyssal Livre de l’intranquillité.

Modeste employé dans diverses maisons de commerce de Lisbonne, Fernando Pessoa menait donc, parallèlement à son quotidien terne et sans histoires, une aventure ontologique et littéraire vertigineuse, se multipliant jusqu’à se détruire pour « tout sentir de toutes les manières ».

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Paul Savoie est un fervent admirateur de Fernando Pessoa. On le connaissait comédien, on le découvrira ici aussi sculpteur dans cette exposition.

J’ai rencontré un Paul Savoie plutôt fébrile cette semaine, alors qu’il fignolait les derniers détails de son exposition.

Monsieur Savoie, d’où vous vient cet intérêt pour Fernando Pessoa ?

J’ai toujours été fasciné par ce petit homme anonyme, qui vivait dans une grande solitude. Bien sûr, il a eu des amis, mais ceux-ci s’intéressaient surtout à son personnage littéraire. Il a aussi eu une blonde, mais cette relation lui pesait. Il l’aimait beaucoup, certes, mais il était asexué et n’était sûrement pas un bon chum pour elle (rires). Cela dit, il l’aimait, mais à la hauteur de ses moyens. On raconte qu’un jour, il a pris une carte de Lisbonne et il a dessiné dessus le chemin le plus long pour aller la reconduire chez elle. C’est mignon, non ?

Vous êtes visiblement fasciné par l’homme, mais qu’en est-il de ses livres ?

En fait, je suis entré dans l’œuvre extraordinaire de Pessoa par le biais de sa vie si ordinaire et de son cerveau… comme tentaculaire, qui se pitche partout. Le Livre de l’intranquilité, c’est un piège terrible : tu rentres là-dedans et tu ne peux plus en ressortir ! C’est un vrai chef-d’œuvre à mes yeux !

À quoi peut-on s’attendre en visitant cette exposition ?

D’abord, précisons une chose : je ne suis pas sculpteur, je suis plutôt un gosseux. J’en fait 72 bustes, que j’ai groupés sur des modules et que l’on pourra admirer dans une salle. Dans quatre autres petites salles, je présente quelques-uns des principaux hétéronymes de Pessoa et j’ai demandé à des amis acteurs — Isabelle Dos Santos, Benoît McGinnis, Gabriel Szabo et Catherine Vidal — de les personnifier. Isabelle lit les textes de l’hétéronyme Reich en portugais, car je tiens à ce que les gens entendent cette belle musique-là.

À vous entendre, je me dis que Pessoa aurait bien du plaisir avec ses hétéronymes à l’ère des réseaux sociaux.

Oh oui ! Mais il s’est beaucoup amusé avec les moyens dont il disposait à son époque. Dans les revues, par exemple, il créait des polémiques entre deux de ses hétéronymes, qui se lançaient des remarques très dures, parfois. Il a très bien joué ce jeu-là, dans un anonymat presque total. Ses amis proches le savaient, mais les gens qui achetaient les revues, les littéraires et les intellectuels, ne pouvaient se douter qu’un seul et même homme se cachait derrière ces identités singulières. Quelle belle folie, tout de même…

Merci pour cet entretien, monsieur…

Quoi ? Tu m’enregistrais ? Mais t’es un coquin !

(rires)

 

Jusqu’au 1er octobre (sauf le lundi 25 septembre)

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