La danseuse Sol Picó et la saxophoniste Mireia Tajero ont marqué à maintes reprises la scène artistique catalane avec des collaborations explosives et provocatrices. Elles se retrouvent cette fois au FIL pour incarner, en danse et en musique, des extraits du premier roman de l’écrivaine Imma Monsó,La Femme pressée, traduit en français chez Robert Laffont en 2013 et récipiendaire du prix Ramon Llull des lettres catalanes. Nous nous sommes entretenu avec Sol Picó tout juste à la veille de son spectacle de demain à l’Usine C.
FIL : D’abord, expliquez-vous dans quel contexte a été créé ce spectacle.
SP : C’est tout simplement une commande de l’Institut Ramon Llull, une institution vouée à la promotion de la littérature catalane. Le FIL est le troisième festival littéraire où j’ai la chance de présenter ce spectacle, après Guadalajara (Mexique) et Francfort (Allemagne).
FIL : À l’Institut, ils vous ont dit : « Sol, serais-tu capable de danser sur ce texte ? »
SP : (rires) C’était presque ça, oui. Ils m’ont demandé d’incarner ses mots dans des gestes. C’était toute une commande, car son roman n’est pas très, comment dire, très abstrait, très poétique; il est plutôt très narratif. Alors je me suis longtemps demandé ce que je pouvais faire avec ce texte. C’est alors que j’ai eu l’idée de m’associer avec ma vieille collaboratrice saxophoniste Mireia, qui a créé la musique de plusieurs de mes spectacles et qui peut aussi performer pendant ceux-ci. Après, je me suis dit qu’Imma elle-même devrait devenir un personnage dans le spectacle. Au départ, elle était complètement terrifiée, mais elle s’est laissée prendre au jeu et nous avons improvisé plusieurs heures ensemble. Elle lisait son texte et j’interagissais sur la scène avec elle. Or, coup de théâtre, elle s’est cassé une jambe juste avant de prendre l’avion vers Montréal ! J’ai donc amené le spectacle ailleurs et c’est maintenant avec Mireia que j’interagis sur scène.
FIL : Je vous avoue que je suis très impressionné par le fait que vous pouvez créer une chorégraphie à partir d’un texte littéraire. Il me semble que la création doit être plus aisée lorsqu’elle prend sa source dans une pièce musicale, qui possède un rythme et—
SP : En fait, non, c’est le même degré de difficulté.
FIL : O.K., alors comment vous procédez ?
D’abord, c’est ma profession, d’imaginer des gestes pour en faire une chorégraphie, c’est quelque chose que je fais depuis de nombreuses années, alors c’est un acte qui m’est très familier; ensuite, je suis désolée de vous décevoir, mais je ne sais pas comment je procède (rires) ! Ça arrive. Je lis le texte et je me mets à imaginer des mouvements. Ça vient tout seul, dans un premier temps, puis lorsque j’entre en salle de répétition, les mouvements et les intentions se précisent.
En fait, je dirais que je crée des images à partir du texte, images grâce auxquelles le spectateur va « connecter» autrement avec celui-ci. Je dis « autrement » parce que les mots, tout le monde les comprend et ils constituent une voie royale pour appréhender une réalité décrite dans un texte littéraire ; les mots stimulent notre imagination et font naître des images; moi, j’imagine avec mon corps, si on veut, et je donne au spectateur une proposition complémentaire aux mots pour capter une autre nuance, une essence différente du texte.
Dans l’élaboration de la chorégraphie, ce sont des mots, des bouts de phrase qui viennent nourrir mon travail. Je peux être dans une salle de spectacle, voir une couleur choisie par le metteur en scène et ça m’inspire, mon esprit se met à créer, ce qui fait que je n’écoute ni ne voit plus ce qui se passe sur scène ! D’autres fois, je suis dans une salle vide, je bouge dans tous les sens et, justement, du sens corporel naît de ce non-sens.
FIL : Qu’avez-vous à montrer aux spectateurs durant le spectacle, qu’est-ce qu’il raconte, au juste, ce roman d’Imma Monsó ?
Quelque chose de tout simple : le quotidien d’une femme pressée. Un simple moment où toute une vie bouge rapidement. En fait, beaucoup de personnes n’ont même pas besoin de la vie pour bouger ainsi, ils sont normalementcomme ça, personne ne les attend mais ils sont pressés quand même ! J’ai une voisine comme ça, chaque fois que je la croise, ses gestes sont vifs, elle vit comme si elle était constamment bousculée par quelque chose. J’ai beaucoup pensé à elle lors de la création de mon spectacle.
Imma a une belle formule dans son texte pour illustrer ce type de personne : « Ils rentrent dans un pièce avant d’en ouvrir la porte ».
FIL : Pour terminer ce trop court entretien, est-ce votre première visite à Montréal, une ville qui a une riche tradition en danse contemporaine ?
SP : OUI ! Ma compagnie est déjà venue présenter l’un de mes spectacles solo il y a plus de dix ans, mais c’est une danseuse substitut qui m’a remplacée, puisque j’étais enceinte. Maintenant, je n’ai qu’une envie : revenir avec ma troupe pour vous présenter l’un de nos spectacles !
À propos de Sol Picó
Sol Picó est une chorégraphe et danseuse basée à Barcelone, spécialisée en danses classique, espagnole et contemporaine. Ces trois disciplines se côtoient dans son travail chorégraphique, qui s’inscrit dans l’expression la plus contemporaine de la danse. Elle a formé sa première compagnie Danza Robadura en 1988, mais c’est avec Sol Picó Compañía de Danza, créée en 1993, qu’elle developpera le style si particulier qui est le sien. Elle a étudié diverses techniques de danse contemporaine au Movement Research de New York et a travaillé comme interprète et chorégraphe au cours des premières années de son parcours, avec des compagnies et créateurs divers tels que Robouldanse, Rayo Malayo Danza et la compagnie d’Art Total, Los Rinos. Plusieurs prix lui ont été décernés au cours de sa carrière
Pour se procurer des billets du spectacle Sol Picó danse les mots d’Imma Monsó, présenté à 16 h demain samedi à l’Usine C de Montréal :
https://usine-c.boxxo.ca/evTarifs.aspx?qty_ticket=0&owner=202&event=560
P.-S. Je tiens à remercier Sol Picó de m’avoir permis de photographier sa répétition aujourd’hui.
