Il n’y a pas d’amour heureux

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C’était comme si la nature en avait eu assez, elle aussi, de toute cette chaleur qui enveloppait Montréal de ses bras suintants et poisseux, depuis douze jours. Les grands vents causés par cet orage providentiel d’hier soir, qui a fait chuter le mercure de dix degrés en quelques heures, ont aussi réussi à casser en deux un arbre probablement centenaire, à quelques mètres de chez moi — en guise de prémonition à ce qui allait suivre.

Comme ce fut le cas pour cet arbre, personne n’est à l’abri d’une rupture.

La peine d’amour a fait couler beaucoup d’encre depuis les tout débuts de la littérature — et notre époque n’en est malheureusement pas exempte; il y a en fait probablement bien plus de ruptures per capita aujourd’hui, à l’époque de l’amour-Kleenex.

La romancière Maryse Latendresse s’est ainsi demandé s’il existait une « manière féminine » de vivre la rupture amoureuse. Autour de cette épineuse question, elle a réuni des femmes issues de différents horizons littéraires, dont Louise Dupré, Madeleine Allard, Marie-Sissi Labrèche, Maryse Latendresse, Émilie Dubreuil, Nadine Bismuth, Chloé Savoie-Bernard, Lise Gaboury-Diallo, Ariane Louis-Seize et Suzanne Myre… et c’est ainsi qu’est né Larguer les amours, un livre publié en août dernier aux éditions Tête Première.

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Or, le FIL présentait hier une dizaine de ces textes sur scène, brillamment lus par les comédiennes Marie-Thérèse Fortin, Gabrielle Lessard et Marika Lhoumeau, avec la complicité de la sublimissime Salomé Leclerc à la guitare.

Question d’être conceptuel, j’ai demandé à ma flamme universitaire de m’accompagner au Lion d’or. L’objet de ma passion amoureuse, appelons-la Nao pour l’occasion, n’avait pas répondu avec l’enthousiasme souhaité à ce feu qui me dévorait. J’ai donc dû me contenter de son amitié. Y a pire dans la vie, quand même.

J’ai connu Nao alors que j’étais étudiant à la maîtrise en littérature à l’Université de Sherbrooke, en 1994. Ce fut un vrai coup de foudre : dès la seconde où je l’ai vue entrer, en retard, les cheveux en broussailles, dans le cours de poésie du regretté Joseph Bonenfant, je fus conquis. Elle m’a aussi séduit par son écriture, précise, baroque, brute. Les Français diraient : bluffante.

Il y a deux semaines, Nao m’a demandé un petit service : elle avait travaillé sur ce manuscrit depuis quelques années et elle désirait que je lui en fasse une critique. Comme j’ai des heures de vol en édition, il arrive à l’occasion que des amis ou connaissances fassent comme Nao et me demandent mon avis sur leur œuvre. Ça me place toujours dans une situation délicate, car la grande majorité du temps, c’est franchement mauvais. Hier, j’écrivais que le métier d’éditeur avait beaucoup à voir avec celui de pêcheur de perles; mais en fait, éditer, c’est d’abord savoir dire non, car c’est ce qui arrive quatre-vingt-dix-neuf fois sur cent.

Cette peur de décevoir fait en sorte que les manuscrits passent généralement plusieurs semaines sur ma table de travail, en attendant d’être lus, mais comme j’avais hâte de replonger dans l’écriture de Nao, cette fois je n’ai mis que dix jours avant de rendre mon verdict.

Verdict que je lui ai communiqué hier, deux minutes avant la levée de rideau. Il faut savoir ménager ses effets.

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J’ai dit les choses simplement : « J’ai la certitude que tu as écrit un livre ». Je lui ai cité Marguerite Duras (dans Écrire, une lecture que je recommande à tous les apprentis-écrivains) : « Quand ce n’est pas un livre, on le sait toujours ». Là, Nao en avait écrit un. Il y a certes un problème avec l’ordre des textes, des petites affaires à bidouiller ici et là, mais dans son état actuel, ce manuscrit saura convaincre n’importe lequel éditeur digne de ce nom qu’il doit être publié. J’ai conclu en lui disant que si je me trompais, je ne serais plus jamais éditeur (pas de stress : je suis sûr de mon coup). Nao m’a remercié pour ce « diagnostic sans enculage de mouches », nous avons trinqué en nous souriant, et le spectacle a pu commencer.

Comme représentant de la gent masculine, je m’attendais à passer un sale quart d’heure, à entendre tous ces récits d’amours déçues et frustrées; mais non : même quand c’était grinçant, même quand les auteures riaient de nos nombreux travers (et dieu sait qu’elles ont beurré épais), je sentais encore tout plein d’amour dans leurs mots.

Le clou du spectacle est survenu à la toute fin de la première partie, alors que la comédienne Marie-Thérèse Fortin personnifiait un « gars plate » imaginé par Marie-Sissi Labrèche. Un gars plate dont ne réussissait pas à se débarrasser la narratrice, malgré tous ses efforts. Les rires fusaient dans la salle à chaque réplique ou presque, vu l’extraordinaire efficacité du texte de Labrèche. Or, à un moment, la comédienne n’a pu s’empêcher de pouffer à son tour, décrochant joyeusement de son personnage, ce qui a redoublé les rires dans la salle et sur la scène. Madame Fortin a eu toutes les misères du monde à dire ses deux dernières répliques.

Un chouette moment, parmi mes préférés du festival.

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Je me rends de ce pas au Jardins Gamelin, pour assister au Spectacle littéraire Histoire arboricole de Montréal (en poésie et en chansons), d’après une idée originale de Bertrand Laverdure.

Ensuite, direction Théâtre Outremont pour Salut Galarneau !, spectacle célébrant les 50 ans de la parution de l’œuvre phare de Jacques Godbout, dans une mise en lecture et une adaptation d’Alexis Martin, et mettant en vedette les lecteurs Pierre Curzi et Benoit Drouin-Germain, ainsi que le musicien Antony Rozankovic. Je vous en reparlerai sûrement demain.

 

Crédit photo : Maxime Cormier

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