VU / ENTENDU à MTL / GENÈVE

Fanny BRITT/ Guillaume RIHS

Fragments de deux villes
Septembre 2016 / mars 2017

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MONTRÉAL

Place Castelnau, coin de Gaspé et Castelnau, samedi 1er octobre 2016, vers 16h45

Une terrasse dans Villeray, début d’automne glorieusement lumineux.

Il a : bonne mine, la dégaine et l’épaisse chevelure des amateurs de plein-air en toute possession de leurs moyens, une posture exemplaire et, là je présume, une haleine vaguement chargée de smoothie au Kale.

Elle a : l’air à la fois fascinée et profondément ennuyée par la conversation. Oui oui.

– Lui, tsé, c’est un paquebot de confiance.
– Ouais. Ouais.
– Ce gars-là, y a une vraie culture du bonheur.
– Ouais, tellement.
– Moi je te dirais que je pense être un tout petit peu moins cowboy de la profondeur.
– Hihi, ouais.
– En fait, c’est un exigeant silencieux.
– Mm.

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GENÈVE

Dans le bus F à la douane de Ferney-Voltaire, le samedi 8 octobre 2016 vers 14 h

À la frontière de Ferney-Voltaire, deux douaniers français montent dans le bus. Ils ont l’air crispé, sifflet et spray au poing. Dehors, leur collègue féminine garde la main sur son arme et sonde le véhicule du regard. Les deux messieurs se répartissent le périmètre et demandent à voir nos pièces d’identité. Dans ma moitié de bus, à l’arrière, plusieurs personnes n’ont rien à leur présenter : un jeune Suisse, une américaine (je crois, à l’accent), son amie Québécoise et un Chinois (je crois). Ces quatre-là s’en vont à Ferney-Voltaire les mains vides.
Le douanier insiste :
– Passeport ? Carte d’identité ? Rien ? Et vous ? Non plus ? Et vous ? Permis de séjour ? Vraiment rien ? Non ? Non ? … Et vous ?
Le douanier surchauffe ; ça en fait, du monde à gérer. Et le bus voudrait bien reprendre sa course. Son collègue le rejoint, qui lui dit :
– Rien à signaler de mon côté. Et toi ?
Il hésite.
Puis il dit :
– Non, rien à signaler.
Et ils sortent du bus.

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MONTRÉAL

Animalerie Safari, centre Rockland, mardi 11 octobre, vers 14h30

À l’animalerie.

– On voudrait un poisson rouge dans un bocal ordinaire, à l’ancienne, pas de machin à oxygène ni rien, c’est pas beau.
– Ah ben ce que ça vous prend madame c’est un Betta. Le seul poisson qui peut vivre dans un bocal à l’ancienne c’est le Betta.
– Ok, on en voudrait deux. Poséidon et Neptune, on va les appeler.
– Jamais deux, madame, le Betta c’est ben agressif comme poisson, ils vont s’entretuer.
– Ah oui ? Ok. Un d’abord. Juste Poséidon.
– Sur ce mur-ci, ils sont à 10,99$. Ce mur-là, 14,99$. Prenez-en un qui a l’air en forme.
– Ça vit combien de temps ?
– Officiellement 4 à 5 ans. Mais vous allez être chanceux si vous vous rendez à 2 ans.
– Ok. On va prendre celui-là.
– Parfait. Vous avez une garantie de 48h en cas de décès du poisson.

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GENÈVE

Dans le tram 12 (entre Bel-Air et Plainpalais), le dimanche 30 octobre vers 1h30

Trois gars qui n’ont pas l’âge s’en vont célébrer Halloween en boîte de nuit. Autour d’eux, des poignards dégoulinants et des visages défigurés égayent le tram. Nos trois garçons au contraire se sont fait élégants pour la soirée. Ce qui les inquiète, c’est l’hypothèse de se faire refouler à la porte du club.
– Tu crois ch’passe ?
– Moi j’dis : tu passes.
– On va s’faire piiiiiire cramer !
– Sinon faut entrer avec des meufs. Avec des meufs y font pas d’chichis.
– Cousin, t’en connais des meufs ?
– Nan mais pas b’soin. Ça passe. ’tout cas, Youssef y passe, c’clair qu’Youssef y passe.
– Ouais. J’avoue.
– Mais Nico y r’ssemble pas du tout à la photo, cousin ! Mais paaaaaas du tout.
Ils manipulent des passeports qu’ils ont dû piquer à leurs grands frères.
– Faut pas s’faire cramer, les gars. Apprends la date ! Apprends la date d’anniversaire par cœur, t’sais ! Apprends trop la date !
– Attends… Six avril… Six avril mille neuf cent nonante-six.
– Ha, nonante-six ! Trop vieux, mec ! Pire trop vieux ! On va trop s’faire cramer.

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MONTRÉAL

Ruelle Henri-Julien/de Gaspé, au nord de Faillon, 6 février 2017, vers 9h30

Deux ouvriers-menuisiers déchargent un camion de livraison de matériaux de constructions. Elle, parfaite menuisière urbaine hipster du Mile-End, avec tuque kaki, manteau en peau de mouton, ceinture à outils vintage, et accent français juste assez assoupli par trois à cinq ans de résidence au Québec. Lui, typique gars de chantier, œil rieur, cigarette derrière l’oreille, casquette de baseball, fond d’accent de la Beauce. Il fait froid, moins douze, mais ni l’un ni l’autre ne porte de gants, ni de foulard. Ils transportent aisément des planches de contreplaqué de 4 pieds par 8 pieds qu’ils font entrer dans un appartement en rénovation.

– T’as-tu bien dormi toi, Sandra ?
– Bah, pas pire, toi ?
– Nuit de marde, man.
– Comment ça ?
– J’ai dormi sur le divan, j’ai un mal de dos du crisse à matin.
– Fallait pas s’endormir sur le divan, Pat.
– Pas eu le choix. Ma blonde m’a empêché de dormir dans le lit.
– Haha !
– Ris pas.
– Qu’est-ce t’as fait ?
– Je l’ai traitée de conne.
– Ah ben elle a eu raison.
– Heille !
– Moi si ma blonde m’avait traitée de conne, je l’aurais mise à la porte.
– Ben là.
– Ah non, pour moi ça passe pas. On me traite pas de conne.
– Ben là.
– C’est comme ça.
– Ben là, t’es ben sévère.
– Eh ben ouaip.
Ils rentrent la feuille de contreplaqué et disparaissent à l’intérieur, vers le chaud.

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GENÈVE

Sur le boulevard Carl-Vogt (devant le musée d’ethnographie), le mardi 8 novembre vers 18h

– Bon alors qu’est-ce qu’on fait ? On peut aller au café d’la Radio, qui est un grand classique.
Dans la nuit de dix-huit heures, un homme d’une soixantaine d’années fait cette proposition, la pipe à la bouche. Avec lui devant le musée d’ethnographie hésitent une dame de son âge et un homme de trente ans. Sa femme et leur fils ? Je ne fais que passer et de leur conversation je ne garderai que :
– Bon alors qu’est-ce qu’on fait ? On peut aller au café d’la Radio, qui est un grand classique.
Cette suggestion de dix-huit heures en bourrant une pipe au sortir du musée, peut-être après une jolie expo (j’imagine), peut-être avec un enfant qui a quitté le foyer depuis longtemps déjà (j’imagine), recèle le plaisir de se découvrir soudain plus de temps que prévu : on ne va quand même pas aller au restaurant avant dix-neuf heures. À trente ans, le fils connaît le café de la Radio, qui est un grand classique, en effet, de vingt-trois heures le samedi lorsqu’il remonte la rue de l’École-de-Médecine et que l’Éléphant, l’Établi, le Lys, la Ferblanterie, tous les bars branchés sont bondés et qu’il échoue sous les néons blafards du seul troquet pas branché du quartier. Mais non, c’est le père qui parle. Le père sait qu’ici, parfois, on croise Darius Rochebin. Il voudrait montrer à son fils qu’il a quelque chose encore à lui faire découvrir. Je ne suis plus là pour l’entendre mais tant qu’à imaginer, j’imagine. Le fils répond :
– Bonne idée, papa, allons boire un verre en famille.

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MONTRÉAL

Autobus 55 St-Laurent, direction nord
Jeudi 23 février, vers 15h

Une demi-douzaine d’adolescents en uniforme scolaire. Il y a des filles, mais elles ne parlent pas. Les garçons sont de très bonne humeur. Ils occupent l’arrière de l’autobus.

– D’façon moi Tintin je l’ai toujours haï moi.
– Non Tintin c’est de la bombe !
– Nah, tout ce qu’y font y devraient être morts, ces gars-là. Y vont sous la mer, y vont sur la lune, y sortent dans l’espace même pas de casque.
– En plus c’est hyper raciste.
– Ouais trop raciste, tu vois.
– Tintin au Congo ? Whoo, that’s some racist shit tho.
– Word, Moïse.

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GENÈVE

Plaine de Plainpalais (au bac à sable), le samedi 12 novembre 2016 vers 15h.

Dans le grand bac à débordement de la plaine, le sable humide séduit la petite fille (de deux ans) de nos amis. Après avoir tassé la matière, l’avoir ratissée, pelletée, pétrie, elle nous en apporte, silencieusement mais avec le sourire, quelques poignées à nous quatre adultes émus qui les recueillons religieusement et qui remercions de « oh, mais quel beau cadeau tu nous fais là, tu es très gentille, merci ! », qui l’enchantent. Le samedi après-midi, les enfants sont nombreux qui creusent et bâtissent par ici. La fille de nos amis, enhardie par nos encouragements, part à la rencontre de ses semblables, une poignée de sable à la main. Une fille de sa taille exactement la voit s’approcher et lui tendre son cadeau. Elle ne réagit pas. Les deux petits individus, droits comme des i, se contemplent l’un l’autre dans une immobilité interdite. La fille de nos amis garde son poing suspendu ; l’autre la fixe, les bras le long du corps. Pas un sourire ni un bredouillement n’est échangé. Une mère qui joue aussi au raz du sol tente un « oh mais que c’est joli ça, du sable ! Regarde ! La petite fille t’offre du sable ! Regarde ! Du sable ! C’est gentil ! » Rien n’y fait. Le geste amical reste immobilisé dans l’air. Enfin une tierce fillette, plus âgée que les précédentes, rompt l’insoutenable suspense en constatant que :
– Tu sais, c’est pas un super cadeau, du sable, c’est normal qu’elle en veut pas.

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MONTRÉAL

Salon de thé Cardinal, boulevard St-Laurent, 13 janvier 2017, vers midi

Deux dames bien distinguées, certainement résidentes de l’Outremont voisin au Mile-End, s’attablent à une banquette dans ce très joli salon de thé à l’anglaise flanqué de photos d’époque et de cuillères antiques à l’effigie de la reine Elizabeth Deux. Elles ont une faim de loup, apparemment.

– C’est bon ta quiche ?
– Délicieux.
– Moi aussi, c’est vraiment délicieux.
– Alors hier soir je regardais Terre Inconnue, tu connais ça Terre Inconnue ?
– Mm ?

(Elle a la bouche pleine de salade, un délice de chou frisé assaisonné de noix de grenoble et de radis).

– C’est une émission à TV5, ils envoient une vedette dans un pays éloigné, hier c’était la Papouasie, ils les laissent vivre avec des peuples, des tribus, et ils filment tout ça –
– Ah oui, Terre Inconnue, c’est formidable. Ils mangent des insectes des fois.
– Ah ça je sais pas comment ils font.
– Je me disais la même chose, pourquoi ne pas jeûner ? Je veux pas qu’on m’oblige à manger un scorpion, moi.
– Je sais, moi non plus.
– Ils vivent nus, tout ça.
– Mm.
– Après je me suis fait une tisane, je me suis couchée tôt. Ce soir je pense faire un brocoli béchamel.
– Ah ? Tu fais ça souvent ? C’est du brocoli avec de la béchamel ?
– Oui, exact, avec un peu de fromage, tu fais gratiner, c’est un gratin.
– Délicieux. Tu fais ça en plat principal ?
– Des fois, si Jean est pas là. Lui y a besoin de sa viande. Donc hier j’ai fait aussi un petit poulet façon Thaïe, rien de compliqué, avec une bonne salade de pomelosses.
– Des pomelo ?
– Oui, Pomelosses, c’est comme entre le pamplemousse et l’orange, mais c’est gros.
– Ah oui c’est bon ça.
– Délicieux.
– T’es pas très patate, toi.
– Ben écoute, si y a des patates au four servies au souper, je vais la manger, entendons-nous bien. Mais je mettrai pas à faire du milage pour ça.
– Mm, tout à fait.

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GENÈVE

Dans le tram 15 (entre Stand et Môle), le vendredi 18 novembre vers 7h30.

Tôt le matin sur le chemin de l’école, un papa explique à sa fille :
– Ce n’est pas un bon journal, tu vois. En fait, c’est même un journal de très mauvaise qualité.
– Mais alors toi, tu le lis pas, toi ?
– Ah, non ! Moi je lis le Temps, tu vois… Et parfois un peu la Tribune…
– Mais pourquoi c’est pas bien, le 20 Minutes ?
– Tu vois, il y a trop de raccourcis. C’est de l’info-poubelle ! Ils blablatent mais ils ne savent pas de quoi ils parlent.
– Comment ça ?
– Ils font des généralités à partir de toutes petites choses.
– Comment ça ?
– Eh bien ils ne font pas de nuances ; ils exagèrent tout.
– Comment ça ?
– Ben par exemple, ton copain, là, celui qui a fait des bêtises…
– Qui ça ?
– Michaël ?
– C’est qui Michaël ?
– Non, pas Michaël… Celui qui a fait, là… ? Mais oui, tu sais ! Celui a été grondé par la maîtresse…
– Michel ?
– Oui c’est ça, Michel. Bon. Alors c’est comme si le 20 Minutes, il disait, par exemple… Comme s’il disait… Bon, le 20 Minutes il dit par exemple : « Les enfants se révoltent contre le primaire ». Tu vois ?
– Ben c’est vrai.
– Non non, mais c’est pas vrai, justement. Je veux dire : c’est seulement Michel qui a fait des bêtises, et le 20 Minutes il généralise. Il dit « Les enfants se révoltent », mais c’est pas vrai, c’est pas tous les enfants. Tu vois ? C’est que Michel le coupable.
– C’est que Michel le coupable ?
– C’est ça, c’est que Michel ! Tu as compris. Le seul coupable, c’est Michel !

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MONTRÉAL

Mercredi 1er février 2017, hôpital St-Luc, vers 19h – deux jours après l’attentat de la Grande mosquée de Québec, qui a fait six morts et plusieurs blessés graves parmi la communauté musulmane de Québec, aux mains d’un jeune homme de Cap-Rouge.

Deux préposées aux bénéficiaires font le nettoyage d’une chambre récemment vidée. Gants de plastique bleu, uniforme violet bariolé de turquoise, lunettes, queue de cheval pour l’une. Gants de plastique bleu, uniforme blanc, cheveux tressés pour l’autre.
– Moi c’est à sa mère que je pense.
– Mm-hm.
– Tsé sa mère, elle a rien demandé.
– Mm-hm.
– Les caméras sont arrivées, drette devant chez eux, on l’a très bien vue la maison à Cap-Rouge, on sait très bien où y habitait, le gars.
– Mm-hm, on l’a vu.
– Les mères de ceux qui sont morts c’est quand même peut-être surtout elles qui –
– Non non, je sais là, je sais, franchement. Mais moi j’ai pas peur de dire que je me sens mal pour elle. Sa mère à lui.

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GENÈVE

Plainpalais Centre, rue de Carouge, le vendredi 27 janvier 2017 vers 11h

Un vieux punk hante les allées du centre commercial : crête décolorée, blouson sanglé de chaînes sonnantes, bagues à têtes de morts, cannette de bière Prix Garanti, dents noires et démarche claudicante. Il s’interrompt devant un stand de parfums et s’intéresse à une boîte mauve, qu’il étudie avec attention. La vendeuse lui faire savoir qu’elle coûte cinquante francs.
– Cinquante balles !
– Eeeeeeh oui.
– C’est pour ma fille… Cinquante balles !
– C’est ça.
– Pouvez pas m’faire cadeau ?
– Aaaaaah… Ça non.
– Cinquante balles pour cette merde ?
– Voilà.
– Eh ben sans moi merci.

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MONTRÉAL

Café Butterblume, boulevard St-Laurent, 19 janvier 2017, vers 13h

Deux jeunes filles superbes, cheveux lissés, brillants et embaumant la clémentine et le romarin, quelque chose d’ostentatoire et pas cheap tout à la fois, parfaitement vêtues, jupe noire sur bottillons pour l’une, skinny jeans, veste de laine et grand foulard vieux rose pour l’autre, lunettes de soleil posées sur la tête, beaux sacs à main, maquillage discret, impeccable. Super classe.
26 ans tout au plus, toutes les deux.
Elles sont en file pour payer leur brunch/lunch/en-cas.

– Heille c’était bon.
– C’était fucking bon.
– Tu le diras à Magalie, c’était fucking bon, on va revenir.
– Mets-en.
– Heille y paraît que t’es allée au –

(Là j’ai manqué le nom du restaurant dont elles parlaient, le mousseur de café de la barista s’est mis à hurler au même moment, mais il semblait clair que c’était un endroit récent, de bon goût, à la mode, où il était difficile d’obtenir une table, et qui manifestement tenait ses promesses. Je vais dire : le Marconi, parce que c’est un nouveau restaurant récent, de bon goût, à la mode, où il est difficile d’obtenir une table, et qui tient ses promesses.)

– C’est-tu bon ? Moi j’ai entendu dire que c’était fucking bon, mais vraiment fucking cher.
– C’est fucking bon. Je suis allée là avec Anne-Julie –
– OMG, Anne-Julie, ça fait fucking longtemps que je l’ai pas vue !
– Elle a un chum.
– Ouais, y paraît que c’est bad.
– Crissement. Genre elle a drop science po, elle fait pus rien.
– Pis son chum est super vieux y paraît.
– Ouais genre quarante quasiment, c’est bad.
– Heille sérieux c’était vraiment fucking bon ce qu’on vient de manger.
– Mets-en.

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GENÈVE

Dans le tram 15 (de Cirque à Plainpalais), le mardi 14 mars 2107 vers 22h

Deux garçons et deux filles qui ont peut-être dix-huit ans voyagent joyeusement avec du fromage à raclette sous le bras. Drôle d’heure, pourtant, pour se lancer dans une raclette. Comme ils doivent avoir faim, ils dévorent goulûment un paquet de Pom-Bär, qui sont des chips en forme d’oursons rieurs :
– Ah, trop chous. I sont trop chous !
Des chips qui les enthousiasment beaucoup :
– En plus trop bons !
– Ouais, trop !
– Ouais ! Ouais !
– Ouais j’adore trop ! Donnes-en ! Donne encore !
Pendant quelques secondes, ils grignotent leurs Pom-Bär et gardent le silence.
Puis ils reprennent :
– Moi j’aime trop les… les… Celles qui sont comme des doigts, là. T’sais les… Les trucs soufflés, voyez ? Genre : comme ça.
– Ouais, en forme de cacahuètes.
– Ouais.
– Les Flips !
– Ouais, trop ! Les Flips !
– Ouais !
– Les Flips !
– C’passqu’elles sont à la cacahuète.
– Ouais, trop bonnes aussi ! Elles sont pire croquantes !
– Ouais, trop !
– Ouais !
– Ouais !
De nouveau, un moment de réflexion. Ils avalent ces Pom-Bär avec passion.
– Par contre, les Pringles, ch’peux pas supporter…
– Quoi ? Mais pourquoi ? T’es malade, c’trop bon, les Pringles !
– Nan, mais c’est d’la purée de pomme-de-terre compressée.
– Ben quoi ? Ouais ! C’trop bien !
– Nan, mais tu perds la texture d’la chips, tu vois.
– Ouais, c’est vrai.
– Ouais…
– C’est juste.

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MONTRÉAL

Boutique Kastella, boulevard St-Laurent
27 février 2017, vers 18h30, lors d’un 5 à 7

Deux décoratrices d’intérieur, de fort bonne humeur (le vin blanc est bien frais ce soir, et en plus, il est gratuit, on lance ce soir la collaboration entre un ébéniste de luxe et un concepteur de luminaires de luxe), l’une petite, blonde, pétillante, babyface éternel, l’autre grande, brune, vaguement mystérieuse, voix de fumeuse ou de récente ex-fumeuse. Elles s’amusent beaucoup.

•    C’est-tu assez beau cette couleur de mur là !
•    Je sais ! Me demande depuis tantôt c’est quoi la teinte.
•    C’est pas du CC-30 certain ça.
•    C’est ça j’ai pensé, du CC-30, au début. Mais finalement non. C’est pas pareil.
•    Pour moi c’est du Farrow and Ball.
•    Ah t’as peut-être raison.
•    En tout cas, c’est un ben beau blanc, tu trouves pas ?
•    Superbe. Un beau blanc simple.
•    Ouains.
•    On se prend-tu un autre verre ou on s’en va ?
•     Es-tu malade, on s’en va pas. Moi je veux un autre verre. Je vais être grosse, mais je vais être ben.

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GENÈVE

À l’Université de Genève, bâtiment Uni-Bastions, le jeudi 30 mars vers 17h

À Uni-Bastions, je croise un ancien élève de mon école. (Je ne le connais pas bien : je ne l’ai jamais eu en cours). Il est aujourd’hui étudiant en Lettres.
– J’ai vu vot’ livre à Payot, me dit-il.
– Ah oui ?
– Ouais… Mais j’l’ai pas lu !
– Ah ? Pas d’problème.
Ensuite il m’observe un instant sans parler.
– Mais vous, relancé-je, il me semble que vous écriviez, non ?
– C’est vrai.
– Vous écrivez encore ?
– J’ai écrit des nouvelles.
– Vous aimeriez les publier ?
– Ah, non… Non ! Alors vraiment pas !
– Mmh…Pourquoi ça ?
– Vous connaissez Wittgenstein ?
– Mmh… Pas vraiment.
– J’ai découvert avec Wittgenstein que l’écrit est toujours dérisoire.
– Sans rire.
– Alors désormais je me tourne vers les arts visuels.
– La peinture ?
– C’est ça. Et la photographie. C’est là qu’on peut trouver du sens, selon Wittgenstein.
– Ah d’accord. Alors bonne journée.